mardi 29 novembre 2016

La renaissance

Mettre fin à la souffrance, c’est entrer en contact avec la mort de votre vivant – en mourant à votre nom, à votre maison, à vos biens, à votre cause, de sorte que vous débordiez de fraîcheur, de jeunesse, de lucidité, et que vous puissiez voir les choses telles qu’elles sont, sans la moindre distorsion. C’est ce qui va se passer à l’heure de votre mort. C’est dans cette mort de chaque instant au « moi » qu’est l’éternité, qu’est l’immortalité, et qu’il est une chose dont il faut faire expérience …La quête de l’immortalité par la réincarnation est essentiellement égoïste, et n’est donc pas conforme à la vérité. Votre quête d’immortalité n’est qu’un autre aspect du désir de pérenniser des réflexes d’autodéfense qui vont à l’encontre de la vie et de l’intelligence. Toute chose dotée d’une continuité ne peut jamais se renouveler...La notion de continuité d’une âme destinée à renaître, encore et sans fin, n’a donc pas le moindre sens, parce que ce n’est qu’une invention née d’un esprit qui a peur, qui veut perdurer, qui cherche dans la permanence un recours de durée, et qui a besoin de certitude, parce qu’en elles est l’espérance.
Peut-il  y avoir une action qui ne soit pas fondée sur l’idée ? L’idée, c’est la continuation d’hier sous une forme modifiée, et cette continuation va conditionner demain, ce qui signifie que toute action fondée sur l’idée ne peut jamais être libre. Tant que l’action aura pour fondement l’idée, elle engendrera inévitablement des conflits ultérieurs. (…) Tant que l’action est le fruit du passé, elle ne peut jamais être libre ; or ce n’est que dans la liberté que l’on peut découvrir la vérité. Ce qui se passe, en fait, c’est que l’esprit, n’étant pas libre, ne peut pas agir : il ne peut que réagir, et c’est la réaction qui est la base de nos actions. Nos actions, loin d’être des actions, ne sont que le prolongement de réactions, car elles sont l’expression de la mémoire, de l’expérience, des réponses d’hier . La question qui se pose est donc celle-ci : l’esprit peut-il se libérer de son conditionnement ? 
Krishnamurti : Le livre de la méditation et de la vie
15 novembre
Mourir sans discussion
(…) La mort, lorsqu’elle vient, n’argumente pas avec vous. Pour lui faire face, vous devez, chaque jour, mourir à toute chose : à votre angoisse, à votre solitude, aux relations auxquelles vous vous accrochez ; vous devez mourir à vos pensées, mourir à vos habitudes, mourir à votre femme afin de la regarder avec des yeux neufs ; (…) Mais vous ne pourrez pas affronter la mort si vous ne mourrez chaque jour. Ce n’est que lorsqu’on meurt que naît l’amour. L’esprit qui a peur est dénué d’amour – il a des habitudes, il a de la sollicitude, il peut se forcer à être bon et superficiellement attentionné. (…) Mais notre mort aux choses physiques est limitée. Nous admettons, en toute logique et en toute raison, que l’organisme cesse un jour de vivre. C’est pourquoi nous nous inventons une vie, tissée de tout notre vécu – tissée de nos angoisses quotidiennes, de notre insensibilité quotidienne, (…),  cette vie que nous voudrions perpétuer, nous l’appelons l’ « âme » - qui est, selon nous , ce qu’il y a de plus sacré, qui participe du divin, alors qu’elle fait toujours partie de votre pensée et n’a donc rien à voir avec la divinité. Telle est votre vie ! 

16 novembre
Dans la mort est l’immortalité
(…) Ce n’est que dans la mort qu’il naît quelque chose de neuf. (…) Or le fait réel, c’est que toute chose qui se perpétue ne peut connaître ni renaissance, ni renouveau.
C’est dans cette mort de chaque instant au « moi » qu’est l’éternité, qu’est l’immortalité, et qu’il est une chose dont il faut faire expérience …
Lorsque vous n’avez plus peur parce qu’à chaque minute il y a fin et renouveau, alors vous êtes ouvert à l’inconnu. (…) Ce qui est authentique, c’est de voir la mort telle qu’elle est – une fin, une fin dans laquelle il y a renouveau, renaissance – pas une continuité. Car tout ce qui se perpétue finit par dépérir ; mais ce qui a le pouvoir de se renouveler est éternel.

17 novembre
La réincarnation est essentiellement égoïste
Vous voulez que je vous donne l’assurance que vous allez vivre une seconde vie, mais il n’est en cela ni bonheur ni sagesse. La quête de l’immortalité par la réincarnation est essentiellement égoïste, et n’est donc pas conforme à la vérité. Votre quête d’immortalité n’est qu’un autre aspect du désir de pérenniser des réflexes d’autodéfense qui vont à l’encontre de la vie et de l’intelligence. Cette insatiable soif de durée ne peut mener qu’à l’illusion. Ce qui compte, ce n’est donc pas de savoir si la réincarnation existe, mais de réaliser l’accomplissement total dans le présent même. Et cela n’est possible que lorsque votre esprit et votre cœur cessent de se protéger contre la vie.

18 novembre
Qu’est-ce que la réincarnation ?
(…) Essayons de trouver si le « je » est en essence quelque chose de spirituel. Et par spirituel nous entendons, n’est-ce pas, quelque chose qui n’est pas susceptible d’être conditionné, qui n’est pas une projection de l’esprit  humain, qui n’est pas dans le champ de la pensée, quelque chose qui ne meurt pas. Lorsque nous parlons d’entité spirituelle, nous désignons par-là quelque chose qui ne se limite pas au champ de l’esprit, de toute évidence. Le « je » est-il une entité spirituelle correspondant à ces critères ? Si tel est le cas, il faut qu’il transcende toute notion de temps, et par conséquent il ne peut ni renaître ni perdurer… Toute chose dotée d’une continuité ne peut jamais se renouveler. Tant que la pensée se perpétue à travers la mémoire, à travers le désir, à travers l’expérience, elle ne peut jamais se renouveler ; et donc, ce qui perdure est inapte à connaître le réel.

19 novembre
L’âme existe-t-elle ?
(…) L’âme a-t-elle une existence réelle ? Nous nous plaisons à croire en ce quelque chose qui est l’âme, nous l’avons placé au-delà de la pensée, au-delà des mots –toujours au-delà. Ce quelque chose est éternel, spirituel ; il ne mourra jamais – voilà pourquoi la pensée s’y accroche. Mais existe-t-elle vraiment, cette âme – cette chose au-delà du temps, au-delà de la pensée, cette chose qui n’est pas une invention de l’homme, qui transcende la nature humain, cette chose qui n’est pas élaboration de l’esprit roué – existe-t-elle ? Car l’esprit ne voit dans la vie qu’incertitude et confusion immenses, et rien de permanent – rien. (…) Rien n’a de permanence. Et c’est ainsi que l’esprit invente ce quelque chose, qui est permanent et qu’il appelle l’âme. Mais puisque celle-ci est concevable par l’esprit, concevable par la pensée, (…) elle reste toujours inscrite dans le périmètre du temps. Si je peux concevoir une chose, c’est qu’elle fait partie de ma pensée. (…) L’âme reste donc confinée dans les limites du temps. La notion de continuité d’une âme destinée à renaître, encore et sans fin, n’a donc pas le moindre sens, parce que ce n’est qu’une invention née d’un esprit qui a peur, qui veut perdurer, qui cherche dans la permanence un recours de durée, et qui a besoin de certitude, parce qu’en elles est l’espérance.

20 novembre
Qu’entend-on par « karma » ?
Le karma sous-entend, n’est-il pas vrai, la notion de cause et d’effet – l’action, fondée sur une cause, donnant lieu à un certain résultat, l’action née du conditionnement produisant de nouveau effets. La cause et l’effet sont-ils donc statiques, définitivement figés ?  L’effet ne devient-il pas à son tour une cause ? Il n’y a donc pas de causes fixes ni d’effets fixes.
(…) Tant que nous considérons la cause, l’arrière-plan, le conditionnement, comme étant sans lien avec l’effet, il y aura forcément conflit entre la pensée et cet arrière-plan. Le problème est donc beaucoup plus complexe que celui de savoir s’il faut croire ou non à la réincarnation, car la question est de savoir comment agir, et non s’il faut croire à la réincarnation ou au karma – deux notions qui sont absolument hors de propos.

21 novembre
Une action fondée sur l’idée
L’action peut-elle jamais nous libérer de cet enchaînement de causes et d’effets ? (…) C’est tout le processus du karma : la cause et l’effet ; et de toute évidence, ce mécanisme de causes et d’effets (…) mène en fin de compte à la douleur. Le véritable nœud de la question est le suivant : la pensée peut-elle être libre ? Toute pensée, toute action vraiment libre n’est ni cause de douleur, ni source de conditionnement. Tel est le point crucial de toute cette question.
Peut-il donc y avoir une action qui soit sans aucune connexion avec le passé ? Peut-il  y avoir une action qui ne soit pas fondée sur l’idée ? L’idée, c’est la continuation d’hier sous une forme modifiée, et cette continuation va conditionner demain, ce qui signifie que toute action fondée sur l’idée ne peut jamais être libre. Tant que l’action aura pour fondement l’idée, elle engendrera inévitablement des conflits ultérieurs. (…) Tant que l’action est le fruit du passé, elle ne peut jamais être libre ; or ce n’est que dans la liberté que l’on peut découvrir la vérité. Ce qui se passe, en fait, c’est que l’esprit, n’étant pas libre, ne peut pas agir : il ne peut que réagir, et c’est la réaction qui est la base de nos actions. Nos actions, loin d’être des actions, ne sont que le prolongement de réactions, car elles sont l’expression de la mémoire, de l’expérience, des réponses d’hier. La question qui se pose est donc celle-ci : l’esprit peut-il se libérer de son conditionnement ?


  

mardi 22 novembre 2016

La mort


Si vous n’aviez plus qu’une heure à vivre, que feriez-vous ?
N’est-il pas possible de vivre en ce monde, sans ambition, en étant simplement ce que vous êtes ? Si vous commencez à comprendre ce que vous êtes sans essayer d’y rien changer, alors ce que vous êtes fera l’objet d’une transformation.
L’esprit qui meurt chaque jour aux souvenirs d’hier, à toutes les joies et toutes les peines du passé – cet esprit-là  est frais, innocent, il n’a pas d’âge ; et sans cette innocence, que vous ayez dix ou soixante ans, jamais vous ne trouverez Dieu. Il faut mettre fin aux images que nous avons élaborées – celles que nous nous sommes créées de nous-mêmes, de notre famille, de nos relations, l’image que nous avons édifiée à travers nos plaisirs,  nos liens avec la société, nos liens avec toute chose. C’est précisément ce qui se passera à l’heure de notre mort...Après tout, c'est la peur qui est à la base de tout cela – la peur de mourir, la peur de vivre, la peur de souffrir. Si vous ne pouvez pas comprendre l’origine de la peur, et vous en libérer, il importe peu que vous soyez vivant ou mort... De quoi se compose le connu ? D’idées, d’opinions diverses, de ce sens de la continuité que l’on a par rapport au connu, et c’est tout...Les accumulations psychologiques  constituent un barrage à cette souffrance tant qu’elles ne sont pas menacées : je suis un paquet d’accumulations et d’expériences, qui s’opposent à tout ce qui pourrait les déranger, donc j’ai peur, et c’est du connu que j’ai peur...L’esprit doit faire des expériences, c’est inévitable. Il doit répondre à tout ce qui le sollicite – sinon il est déjà mort ; mais il doit être capable de répondre sans être figé par l’expérience.
Lorsque nous parlons d’entité spirituelle, nous désignons par là ce quelque chose qui n’est évidemment pas enclos dans champ de l’esprit. Alors, le « je » est-il une entité spirituelle de ce type ? Tant que la pensée se perpétue à travers la mémoire, le désir, l’expérience, tout renouveau lui sera toujours interdit ; donc, ce qui se perpétue ne peut en aucun cas connaître l’ultime réalité.
Vous aurez beau passer par mille renaissances, jamais vous ne connaîtrez la réalité authentique, car seul ce qui meurt, ce qui cesse d’exister, est capable de renouveau. 
Krishnamurti : Le livre de la méditation et la vie

8 novembre
Vivre dans ce monde de manière anonyme
(…) Je crois possible de vivre en ce monde de manière anonyme, en étant un parfait inconnu, ni célèbre, ni ambitieux, ni cruel. On peut mener une vie très heureuse quand on n’accorde aucune importance au moi, et cela participe aussi d’une éducation juste. Le monde entier idolâtre le succès. (…) La glorification du succès est notre pain quotidien. L’obtention de tout succès important se double aussi d’une grande souffrance ; mais nous nous laissons le plus souvent happer par le désir de réussite, et le succès compte pour nous beaucoup plus que la compréhension et la dissolution de la souffrance.

9 novembre
Plus qu’une heure à vivre
 

Si vous n’aviez plus qu’une heure à vivre, que feriez-vous ? Ne prendriez-vous pas les mesures nécessaires pour régler les choses extérieures, vos affaires, votre testament, et ainsi de suite ? Ne réuniriez-vous pas votre famille et vos amis pour leur demander pardon du mal que vous avez pu leur faire et leur pardonner le mal qu’ils auraient pu vous faire ? Ne mourriez-vous pas totalement aux choses de l’esprit, aux désirs et à ce monde ? Et si une telle chose est réalisable l’espace d’une heure, alors elle est également réalisable au fil des jours et des années qui restent peut-être encore… Essayez et vous trouverez.

10 novembre
Mourir chaque jour
 Qu’est-ce que l’âge ? (…) Votre corps vieillit – votre esprit aussi lorsqu’il se laisse encombrer par toutes les expériences, les misères et la lassitude de l’existence . L’esprit n’est capable de découverte que lorsqu’il est jeune, frais, innocent ; mais l’innocence n’est pas une question de l’âge. Il n’y a pas que l’enfant qui soit innocent, (…) c’est aussi le privilège de l’esprit qui sait vivre ses expériences sans en accumuler les sédiments. L’esprit doit faire des expériences, c’est inévitable. Il doit répondre à tout ce qui le sollicite – (…) sinon il est déjà mort ; mais il doit être capable de répondre sans être figé par l’expérience. Ce sont la tradition, l’accumulation des expériences, les cendres de la mémoire, qui font que l’esprit vieillit. Mais l’esprit qui meurt chaque jour aux souvenirs d’hier, à toutes les joies et toutes les peines du passé – cet esprit-là   est frais, innocent, il n’a pas d’âge ; et sans cette innocence, que vous ayez dix ou soixante ans, jamais vous ne trouverez Dieu.   

11 novembre
La mort perçue en tant qu’état
Nous avons tous peur de mourir. Pour que cesse cette peur, nous devons entrer en contact avec la mort – il ne s’agit pas d’un contact avec l’image que notre pensée se fait d’elle, mais d’une perception réelle de la mort en tant qu’état. Sinon la peur n’en finira jamais, car c’est le mot mort qui suscite la peur. Et nous ne voulons même pas en parler. (…) Pour découvrir ce qu’est la vie de même que pour découvrir ce qu’est la mort, il faut entrer en contact avec la mort, c'est-à-dire mettre fin chaque jour à tout ce que nous avons connu. Il faut mettre fin aux images que      nous avons élaborées – celle que nous nous sommes créée de nous-mêmes, de notre famille, de nos relations, l’image que nous avons édifiée à travers nos plaisirs,  nos lien avec la société, nos lien avec toute chose. C’est précisément ce qui se passera à l’heure de notre mort.

12 novembre
Peur de la mort ?
Pourquoi avez-vous peur de la mort ? Est-ce parce que, peut-être, vous ne savez pas comment vivre ? Si vous viviez pleinement, auriez-vous peur de la mort ? Si vous aimiez les arbres, les couchers de soleil, les oiseaux, la feuille qui tombe, si vous étiez attentif aux hommes et aux femmes qui pleurent, aux pauvres, et si vous aviez vraiment de l’amour dans le cœur, auriez –vous peur de la mort ? (…) La vie pour vous n’est que souffrance, alors la mort vous intéresse beaucoup plus. Vous avez le sentiment que, peut-être, le bonheur sera présent après la mort. 

13 novembre
J’ai peur
Je vais maintenant examiner comment on peut se libérer de la peur du connu, c’est-à-dire  la peur de perdre ma famille, ma réputation, mon caractère, mon compte en banque, mes appétits, et le reste. Vous pouvez dire que la peur est un phénomène de conscience ; mais votre conscience est formée par votre conditionnement, par conséquent elle aussi est le résultat du connu. De quoi se compose le connu ? D’idées, d’opinions diverses, de ce sens de la continuité que l’on a par rapport au connu, et c’est tout…Il y a la peur de souffrir. La douleur physique est un réflexe nerveux ; mais la douleur surgit lorsque je m’accroche à des choses qui me sont agréables, car je redoute alors tout ce qui pourrait m’en priver. Les accumulations psychologiques  constituent un barrage à cette souffrance tant qu’elles ne sont pas menacées : je suis un paquet d’accumulations et d’expériences, qui s’opposent à tout ce qui pourrait les déranger, donc j’ai peur, et c’est du connu que j’ai peur, de ces accumulations physiques ou psychologiques dont je suis entouré pour empêcher l’affliction de se produire…

14 novembre
Seul ce qui meurt peut se renouveler
Lorsque nous parlons d’entité spirituelle, nous désignons par là ce quelque chose qui n’est évidemment pas enclos dans champ de l’esprit. Alors, le « je » est-il une entité spirituelle de ce type ? Si tel est le cas, il doit alors être au-delà même du temps ; il ne peut donc ni se perpétuer ni renaître. (…) Si le « je » est accessible à la pensée, c’est qu’il fait partie du temps ; ce « je » n’est pas affranchi du temps, et n’a donc rien de spirituel ; c’est évident. (…) Ce « je » - cette entité qui est un processus de pensée – peut-il jamais être quelque chose de neuf ? S’il ne peut pas, alors  il faut que la pensée s’achève. (…) Ce qui a une continuité ne peut jamais se renouveler. Tant que la pensée se perpétue à travers la mémoire, le désir, l’expérience, tout renouveau lui sera toujours interdit ; donc, ce qui se perpétue ne peut en aucun cas connaître l’ultime réalité. Vous aurez beau passer par mille renaissances, jamais vous ne connaîtrez la réalité authentique, car seul ce qui meurt, qui cesse d’exister, est capable de renouveau.





samedi 12 novembre 2016

La vie

N’est-il pas essentiel qu’il y ait, en permanence, un renouveau, une renaissance ? Si le présent est étouffé par l’expérience d’hier, aucun renouveau n’est possible. Toute notre tradition, tout notre arrière-plan passé nous incitent à éluder la question, ou à trouver des justificatifs, plutôt que d’en être curieux. Au lieu de lui accorder une attention passive, l’esprit cherche en permanence à agir sur le problème...Une expérience qui a été vécue de manière pleine et entière ne laisse derrière elle aucune trace. Seules les expériences inachevées laissent leur empreinte, donnant une continuité à la mémoire, qui s’identifie alors avec le moi.
Nous devons savoir vivre en un jour les quatre saisons, avoir une conscience aiguë de toutes nos expériences, les vivre et les comprendre – puis nous libérer de tout ce vécu engrangé chaque jour.
Et comme la chanson nous échappe, nous courons après le chanteur. Nous apprenons du chanteur la technique du chant, mais il n’y a pas de chanson ; et moi, je dis que l’essentiel, c’est la chanson, que l’essentiel, c’est la joie de chanter. Quand la joie est là, la technique peut se construire à partir de rien ; vous inventerez votre propre technique. Quand on a la joie, les yeux s’ouvrent, et l’acte de voir la beauté est un art en soi.
Si nous réussissons à savoir en quoi consiste cet esprit de coopération né de la compréhension du mécanisme global de l’esprit, et au sein duquel on est libéré de l’égo, alors il devient possible de créer une civilisation nouvelle, un univers totalement différent, où il n’est plus de soif de possession, d’envie, ni de comparaison. Et il ne s’agit nullement de théories, d’une utopie, mais de l’état effectif qui est celui d’un esprit qui, sans relâche, s’interroge, et poursuit ce qui est sain et vrai.
L’important n’est donc pas de demander : « Quel est le but de la vie, la finalité l’existence ? », mais de dissiper la confusion qui est en vous.
Si vous savez clarifier cette confusion qui est en vous, alors vous découvrirez quelle est la finalité de l’existence ; vous n’aurez plus besoin de la chercher ; la seule chose que vous ayez à faire, c’est vous libérer des causes qui sont responsables de la confusion.
Krishnamurti : Le livre de la vie et la méditation
1er novembre
Rompre avec ses habitudes
Nous devons donc chercher à comprendre tout ce processus d’instauration et d’abandon des habitudes. Nous pouvons prendre comme exemple le tabagisme. Et vous pouvez substituer à cet exemple une habitude, un problème qui vous est propre, et explorer directement votre problème, (…) Tant que je suis satisfait de la situation, cela ne constitue pas un problème. Il ne se pose que lorsque je suis obligé d’agir sur une habitude particulière devenue gênante. Fumer m’occasionne une gêne, je veux cesser de fumer, j’ai donc vis-à-vis de tabac une attitude de résistance ou de condamnation. Autrement dit, dès lors que je désire m’arrêter de fumer, j’ai tendance soit à refouler mon envie, soit à la condamner, soit à lui trouver un substitut. Par exemple, au lieu de fumer, je mâche du chewing-gum.  Puis-je donc avoir, sur ce problème de tabagisme, un regard sans la moindre trace de condamnation, de justification ou de répression, pas plus que de rejet ? 

2 novembre
Vivre en un jour les quatre saisons
(…) Le renouveau n’est pas l’action alternée de la naissance et de la mort ; il est au-delà des contraires ; seule la délivrance de toute cette accumulation des souvenirs peut susciter un renouveau, et il n’est de compréhension que dans le présent.
 L’esprit ne peut comprendre le présent que s’il ne juge ni ne compare ; c’est le désir de modifier ou de condamner le présent sans le comprendre qui donne au passé sa pérennité. Ce n’est qu’en comprenant, sans distorsion, le reflet du passé dans le miroir du présent, que naît le renouveau…
Une expérience qui a été vécue de manière pleine et entière ne laisse derrière elle aucune trace – ne l’avez-vous pas vous-même constaté ? Seules les expériences inachevées laissent leur empreinte, donnant une continuité à la mémoire, qui s’identifie alors avec le moi. Nous considérons le présent comme moyen d’accès à une fin, ce qui lui ôte son immense signification. Le présent, c’est l’éternel. Mais comment un esprit fabriqué, créé de toutes pièces, peut-il comprendre ce qui n’est le fruit d’aucune création, qui est au-delà de toute valeur – l’éternel ?
A mesure que surgit chaque expérience, vivez-la aussi pleinement et aussi intensément que possible ; réfléchissez-y, vivez-la jusqu’au bout, dans toutes ses dimensions, toute sa profondeur ; soyez conscient de tout ce qui s’y associe – le plaisir, la douleur, vos jugements et vos justifications. Ce n’est qu’une fois l’expérience achevée qu’il y a renouveau. Nous devons savoir vivre en un jour les quatre saisons, avoir une conscience aiguë de toutes nos expériences, les vivre et les comprendre – puis nous libérer de tout ce vécu engrangé chaque jour.

3 novembre
Une créativité anonyme
Avez-vous déjà songé à la question ? Nous voulons la célébrité, en tant qu’écrivain, poète, peintre, politicien, chanteur, que sais-je encore. Parce que nous n’aimons pas vraiment ce que nous faisons. Si vous aimiez chanter, ou peindre, ou écrire des poèmes – si vous aimiez vraiment cela –, vous ne vous inquiéteriez pas d’être célèbre ou non. Le désir de célébrité est une marque de mauvais goût, de trivialité, de stupidité, (…) Notre éducation actuelle ne vaut rien du tout, car elle nous apprend à préférer le succès à ce que nous faisons. L’importance du résultat prend le pas sur celle de l’action. 
C’est beau, pourtant, de garder secret l’éclat de son talent, d’être anonyme, d’aimer ce que l’on fait, sans ostentation. C’est bien d’être bon en taisant son nom.(…) Vous êtes simplement un être humain créatif, vivant  de façon anonyme, et il y a en cela une grande richesse, une grande beauté.

4 novembre
Des techniques creuses
Créativité et prouesse technique sont inconciliables. Vous pouvez jouer du piano à la perfection, et ne pas être créatif ; vous pouvez être un brillant pianiste, et ne pas être musicien. (…) La création précède la technique, et c’est pour cette raison que nous sommes malheureux tout au long de notre vie. Nous avons la technique – nous savons construire une maison, bâtir un pont, éduquer nos enfants selon un système (…) mais nos cœurs et nos esprits sont vides.
Nous sommes des machines de première classe ; nous savons fonctionner à merveille, mais nous n’aimons pas la moindre chose au monde. Certes, vous pouvez être un bon ingénieur, un bon pianiste, écrire dans un style parfait (…), mais la créativité, elle, ne s’acquiert pas par une technique. Si l’on a quelque chose à dire, on crée son propre style ; mais quand on n’a rien à dire, le style a beau être magnifique, c’est toujours la routine traditionnelle, la même vielle rengaine qui revient sous d’autres mots…Et comme la chanson nous échappe, nous courons après le chanteur. Nous apprenons du chanter la technique du chant, mais il n’y a pas de chanson ; et moi, je dis que l’essentiel, c’est la chanson, que l’essentiel, c’est la joie de chanter. Quand la joie est là, la technique peut se construire à partir de rien ; vous inventerez votre propre technique. Quand on a la joie, les yeux s’ouvrent, et l’acte de voir la beauté est un art en soi.

5 novembre
Savoir quand s’abstenir de coopérer
Les réformateurs, - politiques, sociaux et religieux – n’apporteront à l’homme que souffrances accrues, à moins qu’il ne comprenne les agissements de son propre esprit. C’est grâce à cette compréhension du mécanisme intégral de l’esprit que naît une révolution intérieure, surgit une action de coopération vraie, qui n’est pas une coopération soumise à un modèle, à une autorité, à quelqu’un « qui sait ». Quand vous saurez coopérer, à cause justement de cette révolution intérieure, vous saurez aussi quand vous abstenir de coopérer – chose très importante, peut-être la plus importante de toutes. (…) Si nous réussissons à savoir en quoi consiste cet esprit de coopération né de la compréhension du mécanisme global de l’esprit, et au sein duquel on est libéré de l’égo, alors il devient possible de créer une civilisation nouvelle, un univers totalement différent, où il n’est plus de soif de possession, d’envie, ni de comparaison. Et il ne s’agit nullement de théories, d’une utopie, mais de l’état effectif qui est celui d’un esprit qui, sans relâche, s’interroge, et poursuit ce qui est sain et vrai.

6 novembre
La criminalité, pourquoi ?
(…) La révolution complète, extérieure à la société, c’est ce que j’appelle la révolution religieuse. Toute révolution qui n’est pas religieuse reste limitée au contexte social ; ce n’est donc en aucun cas une révolution ; c’est la continuation modifiée, des anciens schémas.
(…) Grâce à une éducation adéquate, nous pourrions peut-être faire éclore une compréhension différente, en contribuant à libérer l’esprit de tout conditionnement – c’est-à-dire en encourageant les jeunes à être attentifs aux multiples influences qui conditionnent l’esprit et l’asservissent au conformisme.

7 novembre
Le but de la vie
(…) Quel but peut bien avoir votre vie, alors que vous êtes vous-même en pleine confusion ? (…) Comment puis-je trouver une réponse véridique alors même que je suis plongé dans la confusion, la réponse que je  reçois ne peut être elle-même que confuse. Si j’ai l’esprit confus, perturbé, toute réponse, quelle qu’elle soit, me parviendra à travers cet écran de confusion, d’angoisse, et de peur ; par conséquent, la réponse sera pervertie. L’important n’est donc pas de demander : « Quel est le but de la vie, la finalité l’existence ? », mais de dissiper la confusion qui est en vous. C’est comme un aveugle qui demanderait : « Qu’est ce que la lumière ? » Si je lui explique ce qu’est la lumière, il écoutera en fonction de sa cécité, des ténèbres qui sont les siennes ; mais supposons qu’il puisse voir – dans ce cas, jamais il ne demandera « Qu’est-ce que la lumière ? » puisque la lumière est là.






mercredi 2 novembre 2016

La transformation

Pour transformer le monde, nous devons commencer par nous-mêmes ; et dès lors, ce qui compte, c’est l’intention…
Le changement réel ne peut avoir lieu que lorsque l’esprit aborde le problème en toute fraîcheur – pas en traînant tous les souvenirs usés datant d’un millier d’hiers. Vous devez aborder l’inédit avec un esprit plein de fraîcheur, et l’esprit manque de fraîcheur quand il est occupé, consciemment ou inconsciemment.
L’esprit qui désire connaître cet état de changement fondamental, cet état de révolution, doit se libérer du connu. Il devient alors étonnamment tranquille, silencieux, et seul un esprit tel que celui-là vivra l’expérience de cette transformation radicale qui est tellement nécessaire.
La négation consiste en effet à vider la conscience de tout le connu. Il serait absurde de renier tout le savoir scientifique accumulé de si longue date. Mais pour susciter cette mutation de la conscience, cette évolution touchant jusqu’à ses structures mêmes, il faut qu’il y ait vacuité totale.
Il va de soi que toute mutation individuelle entraîne un changement collectif. Toute forme de conscience, qu’elle soit du passé, du présent ou du futur, reste évidement inscrite dans le champ de la pensée ; et tout changement survenant dans ce champ, qui fixe les limites de l’esprit, n’est pas un changement véritable. Le changement radical ne peut avoir lieu qu’en dehors – pas à l’intérieur – du champ de la pensée, et l’esprit ne peut en sortir que s’il en voit les confins, les frontières, et s’il se rend compte que tout changement limité à ce champ n’a de changement que le nom. Voilà en quoi consiste la vraie méditation.
Le changement, la révolution, procède du connu vers l’inconnu, où il n’y a nulle autorité...
Mon esprit – c'est-à-dire le conscient aussi bien que l’inconscient – peut-il se libérer de la société, laquelle est tout à la fois l’éducation, la culture, la norme, les valeurs, les principes établis ? Car sans cette liberté tout changement, quel qu’il soit, que l’esprit essaye d’introduire dans cet état conditionné reste, toujours limité, et c’est pourquoi ce changement n’en est pas un.Comment dissoudre le « moi », qui nous lie au temps, et dans lequel il n’est ni amour ni compassion ? Il n’est possible d’en transcender les limites que lorsque l’esprit ne se scinde pas sous la double forme de penseur et de pensée. Ce n’est que lorsque le penseur et la pensée ne font qu’un que vient le silence, ce silence dans lequel plus aucune image ne se forme, et où toute expectation de nouvelles expériences a disparu. Dans ce silence, le sujet et l’objet de l’expérience se confondent ; et alors il est enfin une révolution psychologique – qui est créatrice. 
Krishnamurti : Le livre de la méditation et la vie
22 octobre
Notre responsabilité
(…) Notre intention doit être de nous comprendre vraiment, et non de laisser à d’autres le soin de se transformer, ou de provoquer une modification extérieure par une révolution de la gauche ou de la droite. (…), Si petit que soit notre monde, si nous pouvons nous transformer, introduire un point de vue radicalement différent dans notre existence quotidienne, peut-être alors pourrions-nous affecter un monde plus vaste, dans l’extension de nos rapports avec autrui.

23 octobre
Si l’esprit est absorbé
(…) L’esprit est-il donc capable d’affronter le problème du changement – celui qui modifierait nos instincts d’acquisition, par exemple – mais sans faire d’effort, en voyant simplement de manière lucide tout ce qu’implique ce besoin d’acquérir ? Parce qu’on ne peut pas voir le contenu total de ce besoin tant qu’on s’efforce de le faire changer. De toute évidence, si votre esprit est absorbé, il vous est impossible de compter sur un esprit plein de fraîcheur et d’enthousiasme. (…) Vous ne pourrez jamais voir la vérité si vous ne lui accordez pas votre pleine attention,  ou si vous traduisez mes propos sous une forme qui vous agrée, ou si vous les traduisez en vos propres termes. 

24 octobre
Le savoir est un obstacle au changement 
Tout ce qui est évoqué ici exige une extrême lucidité de perception, et maints questionnements. N’acquiescez pas systématiquement, mais approfondissez, méditez, mettez impitoyablement votre esprit à l’épreuve afin de tirer au clair le vrai et le faux de tout cela.  Le savoir, c'est-à-dire le connu, peut-il provoquer le changement ? J’ai besoin d’un savoir-faire pour construire un pont ; mais mon esprit doit-il savoir par avance en quoi va consister sa propre mutation ? Si je connais déjà l’état dans lequel sera l’esprit une fois qu’il aura changé, il ne s’agit plus de changement.  Ce savoir préalable fait obstacle au changement, parce que cela devient un moyen de satisfaction, et tant qu’il existe un centre qui est à la recherche d’une satisfaction, d’une récompense, d’une sécurité, tout changement est exclu.

25 octobre
La vacuité totale
Pour que se produise cette mutation complète au sein de la conscience, il faut renoncer à toute analyse, à toute recherche, et ne plus être soumis à aucune influence – ce qui est une tâche extrêmement ardue. L’esprit ayant perçu ce qui est faux, l’écarte complètement, sans pour autant savoir ce qu’est le vrai. (…) Le renoncement n’a lieu que lorsque vous lâchez une chose sans savoir ce qui va se passer. Cet état de «  négation »  est absolument nécessaire. (…) dans cet état de négation  on découvre la vérité ; la négation consiste en effet à vider la conscience de tout le connu. (…)
Il serait absurde de renier tout le savoir scientifique accumulé de si longue date. Mais pour susciter cette mutation de la conscience, cette évolution touchant jusqu’à ses structures mêmes, il faut qu’il y ait vacuité totale. Et elle n’est possible que lorsque survient la découverte, la perception réelle de ce qui est faux. Alors vous verrez, si vous êtes arrivés jusqu’à ce point, que cette vacuité même suscite une révolution complète de la conscience – elle s’est enfin réalisée.

26 octobre
La véritable mutation ne saurait être délibérée
Il va de soi que toute mutation individuelle entraîne un changement collectif. L’individuel et le collectif ne sont pas deux pôles distincts et opposés, bien que certains groupes politiques essaient de les séparer, et de forcer ainsi l’individu à se conformer à une prétendue entité collective. (…) Pour moi, tout changement délibéré, tout changement lié à l’obligation, à la discipline, au conformisme, n’est en aucune manière un changement. Que ce soit la force, l’influence, une nouvelle invention quelconque, la propagande ou la peur qui vous contraignent au changement, il ne s’agit nullement là d’un changement. Et même si, intellectuellement, vous êtes tout disposé à être d’accord avec ce que je dis, je vous assure que c’est une chose tout à fait extraordinaire que de pénétrer la nature réelle de ce changement dénué de motif.

27 octobre
En dehors du champ de la pensée
Vous avez changé d’idées, de pensées, mais la pensée, elle reste toujours conditionnée. (…) Autrement dit, le changement est jours limité au champ de la pensée, et un changement aussi restreint est tout sauf un changement. Il y a simplement eu substitution d’idées, passage d’un courant de pensée à un autre.
 Ayant constaté ce processus, est-il possible de renoncer à la pensée, et de mettre en œuvre un changement qui se situe hors de son domaine ? Toute forme de conscience, qu’elle soit du passé, du présent ou du futur, reste évidement inscrite dans le champ de la pensée ; et tout changement survenant dans ce champ, qui fixe les limites de l’esprit, n’est pas un changement véritable. Le changement radical ne peut avoir lieu qu’en dehors – pas à l’intérieur – du champ de la pensée, et l’esprit ne peut en sortir que s’il en voit les confins, les frontières, et s’il se rend compte que tout changement limité à ce champ n’a de changement que le nom. Voilà en quoi consiste la vraie méditation.
 

28 octobre
Le changement réel
Le changement ne peut se faire, qu’en partant du connu pour aller vers l’inconnu, et non en allant du connu vers le connu. (…) Dans le changement qui s’effectue du connu au connu, il y a une conception hiérarchisée de la vie : d’un côté vous qui savez, et de l’autre moi qui ne sais pas. Donc, je vous vénère, je crée un système, je cherche un gourou, je vous suis parce que vous m’offrez ce que je veux savoir, vous me conférez, concernant la conduite de ma vie, une assurance qui ne peut me mener qu’à des résultats positifs, au succès. Le succès c’est le connu. Je sais ce qu’est la réussite. Elle est l’objet de mon désir. Nous allons donc du connu au connu, et l’autorité intervient forcément, (…) le changement, la révolution, procède du connu vers l’inconnu, où il n’y a nulle autorité. 

29 octobre
L’être humain est-il capable de changer ?
Je suis sûr que nul n’échappe à la question de savoir si l’on change jamais. Je sais que les circonstances extérieures de la vie sont changeantes : on se marie, on divorce, on a des enfants ; il y a la perspective de la mort, ou d’un meilleur emploi, et l’influence qu’exerce sur nous les nouvelles inventions, et ainsi de suite. (…) On s’est forcement demandé si un changement était possible pour nous, pas un changement concernant les événements extérieurs, ou qui ne soit qu’une pure répétition, ou une continuité modifiée du même état de choses, mais une révolution radicale, une mutation, totale de l’esprit.
(…) Moi, je veux changer. Je vois bien que je suis terriblement malheureux, déprimé, laid, violent, avec de temps à autre un éclair fugace d’autre chose que la simple satisfaction d’un mobile ; et je multiplie les efforts de volonté pour faire bouger les choses. Je me dis que je dois changer, que je dois en finir avec telle habitude ou telle autre ; que je dois penser différemment ; que je dois agir autrement ; que je dois être plus comme ceci, moins comme cela. C’est un immense déploiement d’efforts, pour se retrouver à la fin tous bancal, déprimé, moche, brutal, sans le moindre sentiment de qualité. Alors, on se demande si la notion même de changement est possible. L’être humain est-il capable de changer ?
 

30 octobre
Une transformation sans motif
Comment puis-je me transformer ? Je vois la vérité – tout ou moins, j’en entrevois un pan : je vois que tout changement, toute transformation doit impérativement commencer à un niveau auquel l’esprit, sous forme de conscient ou d’inconscient, ne peut avoir accès, puisque c’est la totalité de ma conscience qui est conditionnée. Que faire, dans ce cas ? (…) Mon esprit – c'est-à-dire le conscient aussi bien que l’inconscient – peut-il se libérer de la société, laquelle est tout à la fois l’éducation, la culture, la norme, les valeurs, les principes établis ? Car sans cette liberté tout changement, quel qu’il soit, que l’esprit essaye d’introduire dans cet état conditionné reste, toujours limité, et c’est pourquoi ce changement n’en est pas un.
Suis-je donc capable d’un regard dénué de mobile ? Mon esprit peut-il exister sans avoir la moindre visée, le moindre mobile l’incitant à changer ou à ne pas changer ? Car tout mobile résulte de notre réaction à une culture donnée. Mon esprit peut-il donc se libérer de la culture spécifique dans laquelle j’ai été élevé ? La question est capitale, parce que, si l’esprit ne se libère pas de la culture qui l’a nourri, formé, jamais l’individu ne pourra trouver la paix, la liberté.
Ses dieux et ses mythes, ses symboles, ainsi que tous les efforts qu’il déploie, resteront limités, étant toujours enclos dans le champ de l’esprit conditionné. Quels que soient les efforts qu’il fait ou ne fait pas, dans cet espace limité, ces efforts sont vraiment les plus futiles qui soient. Les conditions d’enfermement peuvent être adoucies – prison mois sombre, plus de fenêtres, meilleurs repas –, cela n’en reste pas moins la prison d’une culture donnée.


31 octobre
Une révolution psychologique
Est-il possible que le penseur et la pensée, l’observateur et l’objet observé ne fassent qu’un ? (…) Ce conflit intérieur permanent, tellement destructeur et tellement nuisible – c’est à vous de le résoudre, ne croyez-vous pas ? Et c’est aussi à vous qu’il appartient de découvrir comment susciter en vous-même un changement radical, au lieu de vous contenter de révolutions superficielles d’ordres divers – (…) Nous devons aller au-delà des mots, au-delà de tous les symboles et des sensations qui s’y associent…
Ces choses-là, nous devons les écarter et en venir au problème essentiel : Comment dissoudre le « moi », qui nous lie au temps, et dans lequel il n’est ni amour ni compassion ? Il n’est possible d’en transcender les limites que lorsque l’esprit ne se scinde pas sous la double forme de penseur et de pensée. Ce n’est que lorsque le penseur et la pensée ne font qu’un que vient le silence, ce silence dans lequel plus aucune image ne se forme, et où toute expectation de nouvelles expériences a disparu. Dans ce silence, le sujet et l’objet de l’expérience se confondent ; et alors il est enfin une révolution psychologique – qui est créatrice.