Il n’existe pas
le lieu de destination, il y a uniquement ce mouvement d’apprendre, qui ne devient
douloureux que lorsqu’on accumule le savoir. Regarder un
fait, c’est en avoir la conscience claire – une conscience sans choix, sans condamnation,
sans préférence ni aversion. Lorsque vous avez pour intérêt principal de
comprendre le fait et lui seul, et que vous voyez que le passé qui interfère
vous empêche de comprendre le fait, alors l’intérêt vital que vous portez au
fait efface définitivement ce passé. Si ce n'est pas de manière totale que vous regardez les opérations de votre esprit, vous n’êtes pas pleinement conscient.
Avoir
pleinement conscience de ses pensées et de
ses sentiments, sans s’identifier à eux ni les renier, n’a rien fastidieux
ni de douloureux ; mais si l’on est à l’affût d’un résultat, d’un objectif
à atteindre, le conflit ne fait que s’accroître et l’ennui de l’effort s’installe. L’effort dénature tout. J’entends par laisser fleurir une pensée le fait
de lui permettre de se déployer en toute liberté, et observer le résultat, voir
ce qui se passe dans votre pensée, dans votre sentiment. C’est lorsque
on observe un problème silencieusement, sans condamnation ni justification,
qu’il advient une conscience passive, le problème est compris et se dissout. Il
y a en elle une sensibilité accrue, qui abrite la forme la plus élevée de
pensée. « Négative ». N’être rien n’est pas l’antithèse d’être quelque chose.
Krishnamurti : Le livre de la méditation et de la vie
14 Juin
Un parcours sans destination
L’humilité peut-elle être pratiquée ? Avoir
conscience d’être humble n’est certainement pas faire preuve d’humilité. Vous
voulez tous savoir que vous êtes arrivés au but. Mais, (…) il n’est pas
question d’arriver, il y a seulement ce mouvement qui consiste à apprendre –
est c’est cela la beauté de la vie. Si on est arrivé, alors il n’y plus rien.
Et vous tous, vous êtes tous arrivés, ou désireux de l’être, et ce non
seulement en affaires, mais dans tout ce que vous faites ; d’où votre
insatisfaction, votre frustration, votre détresse. (…) Un esprit qui écoute avec
une attention parfaite ne cherchera jamais de résultat, parce qu’il élargit
sans cesse ; il est comme un fleuve, toujours en mouvement. Cet esprit-là
est totalement inconscient de sa propre activité, en ce sens qu'il ne se
perpétue pas sous forme d’un « moi », sous forme d’un ego qui cherche
à atteindre un but.
15 Juin
Savoir n’est pas avoir conscience
La conscience claire est cet état d’esprit
qui observe, sans condamnation ni acceptation, qui fait simplement face aux
choses telles qu’elles sont. Lorsque
vous observez une fleur sans vous soucier de botanique, vous voyez alors la
totalité de la fleur, mais si votre esprit est complètement absorbé par la
connaissance de ce qu’est cette fleur en
termes de botanique, vous n’avez pas d’elle une vision totale. (…) Par
tradition ou par profession, et de toute façon, nous ne sommes pas capables de
faire face à un fait sans interférence de notre vécu antérieur. Il faut que
nous soyons conscients de ce vécu. Il faut que nous soyons conscients de notre
conditionnement, et il se manifeste lorsque nous observons un fait ; et
comme ce qui vous intéresse, c’est l’observation du fait et non l’arrière –
plan du vécu, ce dernier est éliminé de la scène. Lorsque vous avez pour
intérêt principal de comprendre le fait et lui seul, et que vous voyez que le
passé qui interfère vous empêche de comprendre le fait, alors l’intérêt vital
que vous portez au fait efface définitivement ce passé.
16 juin
L’introspection est imparfaite
Dans la conscience claire il n’y a que le
présent – autrement dit, votre prise de conscience vous permet de voir le
mécanisme d’influence grâce auquel le passé contrôle le présent et modifie le
futur. La conscience claire est un processus intégral, pas un processus de
division. (…) Si l’on sait être lucide, on voit comment la conception que nous
avons de Dieu est liée à la peur ; ou peut-être y eut-il une personne qui,
ayant eu l’expérience première de la réalité ou de Dieu, la communiqua à une
autre personne, qui dans son avidité se l’appropria, et donna élan au processus
d’imitation. La conscience claire est le processus de la perfection ; l’introspection
est imparfaite. L’introspection a des effets
morbides et douloureux, alors que la conscience claire est enthousiasme et joie.
17 juin
Voir l’intégralité
Comment regardez-vous un arbre ? Le voyez-vous dans son intégralité? (…) Vous pouvez passer devant l’arbre et dire : « Tiens, un arbre,
comme il est beau ! » ou dire : « c’est un manguier »
ou encore : « Je ne sais pas à quelle espèce appartiennent ces arbres,
ce sont peut-être tamariniers. » (…) L’arbre comprend les racines, le
tronc, les branches, les grosses et les petites, jusqu’au petit rameau délicat
qui se dresse là-haut ; et la feuille, la feuille morte, la feuille fanée,
et la feuille verte, celle qui est rongée, celle qui est laide, celle qui
tombe, et le fruit, et la fleur – c’est cela que vous voyez comme un tout
lorsque vous voyez un arbre. De même, dans cet état où vous voyez les
opérations de votre esprit, dans cet état de vigilance, il y a vos réactions de
condamnation, d’approbation, vos refus, vos luttes, votre futilité, votre désespoir,
vos espoirs, vos frustrations ; la conscience claire couvre l’ensemble de
tout cela, pas rien qu’une partie. Alors, avez-vous conscience de votre esprit
en ce sens-là, qui est tout simple, aussi simple que de regarder un tableau en
entier – au lieu d’en voir un seul pan et de demander : « Qui a peint
ce tableau ? ».
18 juin
La conscience ne se plie à aucune discipline
Si la conscience fait l’objet d’une
pratique, d’une habitude, alors son exercice devient fastidieux et douloureux. La
conscience ne peut être pliée à aucune discipline. Ce qui fait l’objet d’une
pratique n’est plus de l’ordre de la conscience claire, car toute pratique
suppose l’instauration d’une habitude, la mise en œuvre d’un effort et l’exercice
de la volonté.
L’effort dénature tout. La
conscience couvre non seulement notre environnement extérieur (…) Mais elle
couvre aussi le mécanisme de notre psyché, nos tensions et conflits internes. Vous
ne condamnez pas un oiseau en vol : vous l’observez, vous en voyez la
beauté. Mais, lorsque vous considérez vos déchirements intimes, c’est pour les
condamner ou les justifier. Vous êtes incapable d’observer ces conflits
internes sans aucune notion de choix ni de justification.
19 juin
La floraison de la pensée
La conscience claire est un état d’esprit
qui peut tout embrasser – le vol des corbeaux à travers le ciel, les fleurs sur
les arbres, les gens assis là aux premiers rangs et les couleurs qu’ils portent
- , il nous faut avoir cette amplitude de conscience qui exige que l’on
examine, que l’on observe, que l’on remarque la forme de la feuille, la forme
du tronc, la forme qu’a la tête du voisin, ce qu’il est en train de faire. Avoir
cette amplitude de conscience, et agir sur ces bases – c’est cela, avoir
conscience de la totalité de son être. (…) compris grâce à la perception de
chaque pensée, de chaque sentiment, sans qu’on oppose de limites à cette
perception, mais en laissant fleurir toutes les pensées, tous les sentiments, (…)
Laisser fleurir une pensée ou un
sentiment demande de l’attention – pas de la concentration. J’entends par
laisser fleurir une pensée le fait de lui permettre de se déployer en toute
liberté, et observer le résultat, voir ce qui se passe dans votre pensée, dans
votre sentiment. Tout ce qui fleurit a besoin de liberté, de lumière, et ne
peut être assujetti à aucune restriction. On ne peut pas l’évaluer, on ne peut
pas dire : « c’est bien, c’est mal ; ceci est acceptable, cela
ne l’et pas » car c’est ainsi qu’on limite cette floraison de la pensée.
20 juin
La vigilance passive
Dans la perception lucide, il n’y a
ni devenir, ni objectif à atteindre, mais une observation sans choix ni
condamnation d’où naît la compréhension. Dans ce processus qui laisse libre
cours au déploiement des pensées et sentiments – ce qui n’est possible que
s’ils ne sont ni thésauriser ni accepté – survient alors une perception
élargie, qui met au jour tous les niveaux occultes de notre être et leur
signification. Cette perception nous révèle ce vide créateur qui ne peut être
imaginé ni formulé. Perception élargie et vide créateur ne sont pas deux stades
différents d’un même processus : ils forment un processus global. C’est
lorsque on observe un problème silencieusement, sans condamnation ni
justification, qu’il advient une conscience passive, le problème est compris et
se dissout. Il y a en elle une sensibilité accrue, qui abrite la forme la plus
élevée de pensée. « Négative ». Lorsque l’esprit est constamment
occupé à formuler, à produire, nulle création n’est possible. Lorsque l’esprit
est silencieux et vide, et qu’il ne suscite pas le moindre problème – ce n’est
que là, dans cette passivité vigilante, qu’il y a création. La création ne peut
avoir lieu qu’« en négatif » - ce « négatif » n’étant pas
le contraire de positif. N’être rien n’est pas l’antithèse d’être quelque chose.
Un problème n’apparaît que lorsqu’on est en quête de résultats. Quand cesse la
quête, cessent les problèmes.
21 juin
Jamais ne se répète ce
qui est pleinement compris
(…) Tous les sentiments et pensées
sont projetés sur l’écran de la conscience claire pour y être observés, étudiés
et compris ; mais ce flux de compréhension est stoppé dès qu’entrent en
jeu condamnation ou acceptation, jugement ou identification. Mieux l’écran est
observé et compris (…) plus grande est l’intensité de la perception, et cela
provoque à son tour une compréhension élargie. (…) la double faculté du penser –
ressentir ne peut être étudiée et comprise que si l’esprit est capable d’adapter
un mouvement lent ; (…) Notre handicap, c’est cette difficulté que nous
avons à ralentir l’allure de notre esprit afin de pouvoir suivre et comprendre
une à une chaque pensée – sentiment. Jamais ne se répète ce qui est appréhendé
en profondeur et pleinement compris.
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