lundi 22 août 2016

L'observateur et l'observé

Tout homme qui veut comprendre la fin de la souffrance doit comprendre, doit découvrir, doit aller au-delà de cette dualité entre le penseur et la pensée, entre le sujet et l'objet de l'expérience... Lorsqu'il y a division entre l'observateur et l'objet observé, le temps intervient, et la souffrance n'en finit donc jamais. Que faire, alors ? 
S'il n'y avait pas du tout de pensée, il n'y aurait pas d'observateur, pas de penseur, il n'y aurait qu'une attention parfaite, absolue.
La pensée est transitoire, changeante, elle n'est pas permanente, et elle recherche la permanence. C'est pourquoi la pensée a créé le penseur, qui devient alors le symbole de la permanence. Il prend le rôle du censeur, du guide, du contrôleur, de celui qui façonne la pensée... Celui qui contrôle n'est pas différent de ce qu'il contrôle ; il triche dans le jeu qu'il se joue à lui-même. Tant que le faux n'est pas perçu en tant que faux, la vérité ne peut pas être.
Il faut se libérer de la réponse du conditionnement, c'est-à-dire de la pensée. Un problème est résolu quand l'idée, la conclusion ont cessé d'être. La conclusion, l'idée, la pensée sont agitation de l'esprit. Comment pourrait-il y avoir compréhension lorsque l'esprit est agité ? 
La félicité de la vérité apparaît lorsque l'esprit n'est pas aux prises avec ses propos activités et ses luttes.
La relation, prend une tout autre signification dès que l'observateur n'est plus séparé de ce qu'il observe.
Mon esprit observe donc la solitude ; le penseur a conscience de sa solitude. Mais s’il demeure avec elle, en un contact total, sans la fuir, sans la traduire, et ainsi de suite, existe-t-il encore à ce moment-là une différence entre l’observateur et l’observé ? Ou n’y a-t-il plus comme unique fait que la réalité du vide et de la solitude de l’esprit ? L’esprit a cessé d’observer le vide dans lequel il se trouve : il est lui-même ce vide. L’esprit peut-il donc, ayant pris conscience de sa vacuité comme d’un fait, et voyant que, quels que soient ses efforts, tout mouvement de recul face à cette vacuité n’est qu’une évasion, une dépendance, et être ce qu’il est dans cet état-là, n’est-on pas délivré de toute dépendance, de tout attachement ?  
Krishnamurti : Le livre de la méditation et de la vie

 15 août 
La dualité entre penseur et pensée
Quand vous observez quelque chose (...) il y a toujours d'une part l'observateur, le censeur, le penseur, celui qui vit l'expérience, celui qui cherche, et de l'autre la chose qu'il observe ; l'observateur et l'objet observé ; le penseur et la pensée. Il y a donc toujours une division. C'est cette division qui constitue  le temps. Cette division est l'essence même du conflit. Et quand il y a conflit, il y a contradiction. Il y a "l'observateur et l'observé" - c'est-à-dire qu'il y a une contradiction, une séparation. Et là où est la contradiction, est aussi le conflit, chaque conflit faisant naître à son tour un besoin impérieux de dépasser le conflit, de le vaincre, de l'éviter, d'agir sur lui, et toute cette activité implique le temps...Tant qu'il y aura division, le temps continuera, et le te temps, c'est la souffrance. (...) Je vois, présent en moi, l'observateur, toujours là à épier, juger, censurer, accepter, rejeter, discipliner, contrôler, modeler. Cet observateur, ce penseur, est le résultat de la pensée ; c'est une évidence. C'est la pensée qui vient en premier, pas l'observateur, le penseur. 

16 août 
C'est la pensée qui crée le penseur 
La pensée est la sensation mise en mots ; la pensée, c'est la réponse de la mémoire, c'est le mot, l'expérience, l'image. La pensée est transitoire, changeante, elle n'est pas permanente, et elle recherche la permanence. C'est pourquoi la pensée à créé le penseur, (...) Cette entité illusoire est le produit de la pensée, du transitoire. Cette entité est la pensée ; sans la pensée, elle n'existerait pas. Le penseur est constitué de qualités distinctives qui sont inséparables de lui-même. 

17 août 
Un mur de pensée inexpugnable 
Comment peut-il y avoir fusion entre le penseur et ses idées? Cela ne peut pas avoir lieu par l'action de la volonté, ni par la discipline, ni par l'effort sous quelque forme que ce soit, ni par la maîtrise ou la  concentration, ni par rien de semblable. (...) La fusion ne peut avoir lieu qu'à partir du moment où l'esprit est parfaitement immobile sans avoir essayé de l'être. Et cette immobilité vient non pas quand le penseur n'existe plus, mais quand la pensée elle-même n'existe plus. (...) Si je peux me permettre de vous le conseiller, soyez ouvert, sensible, ayez une conscience totale de ce qui est d'un moment à l'autre. Ne vous entourez pas d'un mur de pensée inexpugnable. 

18 août 
Quand l'observateur est l'objet observé 
L'espace est une nécessité. Sans espace, pas de liberté - psychologiquement parlant... Ce n'est que lorsqu'il y a contact, lorsqu'il n'y a pas le moindre espace entre l'observateur et ce qu'il observe, que notre relation - avec un arbre, par exemple - est totale. 
Il ne s'agit pas de s'identifier à l'arbre - (...) mais lorsqu'il n'y a absolument plus là moindre distance entre observateur et objet observé, alors s'ouvre un immense espace. Un espace où il n'y a pas de conflit ; et dans cet espace est la liberté.(...) Voir que toutes nos actions, et chaque instant d'une action, procèdent du rapport observateur-observé, et que dans l'espace qui sépare l'un de l'autre, il y a plaisir, la douleur et la souffrance, le désir de réalisation, la soif de célébrité. Au sein de cet espace-là, aucun contact avec quoi que ce soit n'est possible. Mais le contact, la relation, prend une tout autre signification dès que l'observateur n'est plus séparé de ce qu'il observe. Alors s'ouvre cet autre espace fabuleux, et alors est la liberté. 

19 août 
Celui qui observe la solitude existe-t-il vraiment ?
Mon esprit observe la solitude ; il l’évite, il la fuit.
Mais si je cesse de la fuir, y-a-t-il une division, y-a-t-il une séparation, existe-t-il encore un observateur qui examine la solitude ? Ou n’y a-t-il plus qu’un état de solitude, mon esprit lui–même étant vide et seul – là où il avait un observateur conscient de la présence de la solitude ? je crois qu’il est capital de saisir cela au vol, sans trop s’attarder sur les mots. Quand nous disons par exemple : « Je suis envieux, je veux me débarrasser de mon envie », il y a alors un observateur et un phénomène observé ; l’observateur souhaite se débarrasser de ce qu’il observe. Or, l’observateur et l’observé ne sont-ils pas la même chose ? C’est l’esprit lui-même qui a suscité cette envie, il lui est donc impossible d’agir sur elle.

20 août
Accumulation et vérité
(…) La vérité n’est pas quelque chose dont on se souvient, qu’on emmagasine, qu’on enregistre et qu’on reproduit ensuite. Ce qui s’accumule n’est pas la vérité. C’est le désir de faire l’expérience qui crée l’expérimentateur, qui à son tour accumule et se souvient. Le désir suscite la séparation entre le penseur et sa pensée ; (…) La prise de conscience de cette conséquence du désir est la connaissance de soi. Et la connaissance de soi est le commencement de la méditation.

21 août
Faire face au fait
Si vous êtes en contact avec quelque chose (…) à l’instant même où la pensée intervient, le contact est rompu. La pensée a sa source dans la mémoire. La mémoire c’est l’image, et c’est à partir de là que vous regardez ; c’est pourquoi il y a une séparation entre l’observateur et ce qu’il observe.
(…) Il faut donc comprendre, de manière totale et absolue, qu’aussi longtemps que persiste l’observateur, celui qui a soif d’expérience, le censeur, l’entité qui évalue, juge et condamne, il n’y a plus aucun contact immédiat avec ce qui est. (…) Tant que ce fait ne sera pas totalement compris, réalisé, exploré et profondément ressenti, tant qu’on n’aura pas saisi pleinement (…) que l’observateur est ce qu’il observe, toute vie se transformera en conflit, en contradiction entre des désirs opposés, entre « ce qui devrait être » et « ce qui est ». Cela ne vous sera possible qu’à condition de savoir en toute lucidité si vous regardez, si vous êtes ou non en position d’observateur, lorsque vous regardez une fleur, un nuage ou quoi que ce soit d’autre.


samedi 13 août 2016

La réalité

Si l'on veut partir de la réalité et non de suppositions, il faut être extrêmement attentif, et toute forme de pensée qui n'a pas le réel pour origine est une distraction. C'est en cela qu'il est essentiel de comprendre ce qui se passe réellement en nous et autour de nous.
Le fait est tel qu'il est, et l'esprit a beaucoup de peine à l'admettre. Nous ne cessons de le traduire, de lui attribuer des sens différents, en fonction de nos préjugés, de nos conditionnements, de nos peurs et ainsi de suite.
Le fait est là, il se suffit à lui-même, rien d'autre ne compte ; le fait a alors sa propre énergie qui vous mène dans la bonne direction.
Il n'y a en définitive qu'une certitude : celle de la réalité de la non-permanence. 
Pouvez-vous mesurer l'immesurable? Si vous mesurez l'immesurable est-ce le réel? Nous voulons fuir de connu vers l'inconnu, le quel encore une fois devient le connu, de sorte que nous ne pouvons jamais trouver le réel. 
Vous et le néant ne faites qu'un. Vous pouvez essayer de fuir cela par mille subterfuges, par la violence individuelle ou collective, par l'étude ou les plaisirs, mais que vous dormiez ou soyez éveillés, il est toujours là. Vous ne pouvez entrer en contact avec ce néant et sa peur qu'en prenant conscience, lucidement et sans choix, de tous les subterfuges que vous utilisez pour le fuir. Lorsqu'il y a découverte, la révélation de ce néant qui est vous, alors la peur tombe et disparaît complètement.
Krishnamurti : Le livre de la méditation et de la vie
 
8 août 
Comprendre le fait réel
Ce n'est pas vraiment complexe, bien que cela puisse être difficile. C'est que, voyez-vous, nous ne commençons pas par le fait réel, par ce que nous pensons, faisons ou désirons. Nous commençons par des suppositions, ou des idéaux, qui n'ont rien de réel, et c'est pour cela que nous nous égarons.(...) Il est simple de comprendre le fait réel, mais cela est rendu difficile par nos préférences et nos aversions, par notre condamnation du fait en question, et par les opinions et les jugements que nous portons sur ce fait réel. Se libérer de ces diverses formes d'évaluation, c'est saisir la réalité, comprendre ce qui est.

9 août 
Traduire les faits empêche de les voir
L'esprit qui se forge une opinion sur un fait est un esprit étroit, limité, destructeur ... Vous et moi pouvons traduire le fait chacun à notre manière. Cette interprétation du fait est une malédiction qui nous empêche de le voir tel qu'il est et de pouvoir agir sur lui. 

10 août 
L'impermanence est le seul et unique fait
 (...) Ce qui nous entoure, intérieurement comme extérieurement - nos relations, nos pensées, nos sentiments -, est impermanent et en fluctuation constante. Ayant conscience de cela, l'esprit recherche ardemment la permanence, un état perpétuel de paix, d'amour, de béatitude, une sécurité que ni le temps ni les événements ne peuvent détruire ; c'est pourquoi il crée l'âme, l'atma, et les visions d'un paradis éternel. Mais cette permanence est engendrée par la non-permanence. Il n'y a en définitive qu'une certitude : celle de la réalité de la non-permanence. 

11 août 
La quête insatiable de l'inconnaissable 
Vous voulez que je vous dise ce qu'est la réalité. L'indescriptible peut-il être mis en mots? Pouvez-vous mesurer l'immesurable? Pouvez-vous retenir le vent dans votre poing? Si vous le faites est-ce le vent? (.. ) Dès  que vous traduisez l'inconnaissable en termes de connu, il cesse d'être l'inconnaissable. Et pourtant c'est ce à quoi nous nous évertuons. Nous cherchons inlassablement à "savoir", dans l'espoir que la connaissance prolongera notre durée et nous permettra de capter l'ultime félicité dans une permanence. Nous voulons "savoir", parce que nous ne sommes pas heureux, (...) Nous voulons fuir le connu vers l'inconnu, lequel encore une fois devient le connu, de sorte que nous ne pouvons jamais trouver le réel. 

 12 août 
La souffrance un simple mot ou une réalité ?
La souffrance n'est elle qu'un mot ou une réalité ? Si c'est un fait, le mot, au point où j'en suis, n'a plus de sens ; il n'y a plus en moi que la perception d'une intense douleur. Par rapport à quoi ? Par rapport à une image, à une expérience, à quelque chose que je n'ai pas. Si je l'ai je l'appelle plaisir ; sinon, c'est la douleur. 
La douleur, la. souffrance existe par rapport à quelque chose. Ce "quelque chose" n'est-ce qu'une abstraction habillée de mots, ou est-ce une réalité ? (...) la souffrance est toujours en relation avec une personne, un incident, un sentiment. (...) Est-elle distincte de moi, ne suis-je que l'observateur qui la perçoit, ou est-elle "moi" ?

13 août 
Vous et le néant ne faites qu'un 
Vous n'êtes rien. Vous avez beau avoir un nom, un titre, des biens, un compte en banque, le pouvoir, la célébrité, tous ces écrans protecteurs ne vous empêchent pas de n'être rien. Vous pouvez n'avoir aucune conscience de ce vide, de ce néant, où vous pouvez simplement ne pas vouloir en prendre conscience ; mais, quoi que vous fassiez pour lui échapper, il est là. (...) vous n'êtes pas l'observateur qui le scrute ; sans vous - le sujet pensant, l'observateur -, il n'est pas. Vous et le néant ne faites qu'un ; (...) vous et le néant constituez un unique phénomène, et non deux processus distincts. (...) Lorsqu'il y a découverte, la révélation de ce néant qui est vous - alors la peur - qui n'existe que lorsque le penseur est distinct de ses pensées et essaye ainsi d'établir des relations avec elles - tombe et disparaît complètement.

14 août 
Comment en finir avec la peur ? 
(...) Il faut aborder la vie avec le maximum de rigueur, d'objectivité, de lucidité - pas en fonction de nos sentiments, de nos envies, de ce qui nous plaît ou ne nous plaît pas. C'est ce qui nous plaît et nous déplaît qui est à l'origine de toute cette souffrance. (...) Puis-je, en tant qu'être humain, mettre fin à la peur, de manière absolue, et non par petits bouts ? (...) Si vous la posiez avec le plus grand sérieux, non pas en voulant qu'on vous dise comment faire pour y mettre fin, mais en cherchant plutôt à en comprendre la nature, les mécanismes, vous verriez alors que, dès que vous avez découvert ce qu'il en est, la peur tombe instantanément, d'elle-même, sans que vous ayez rien à faire. 
Lorsque nous la percevons et que nous entrons en contact direct avec elle, l'observateur est ce qu'il observe. Il n'y a plus de différence entre l'observateur et la chose observée. C'est quand la peur est observée sans l'observateur que naît une action - qui n'est pas celle de l'observateur agissant sur la peur. 



La vérité

Il n'existe aucun chemin pour aller à la vérité, c'est elle qui doit venir à vous. Mais elle ne peut venir à vous que si votre Cœur, votre esprit sont simples et clairs, et que votre Cœur est rempli d'amour, et non des choses de l'esprit. Elle surgit, soudain comme le soleil, pure comme la nuit... 
La vérité n'appartient ni au passé ni au présent, elle est hors du temps... La vérité est un état, un mode d'être qui survient lorsque l'esprit cesse d'exister.
La vérité n'a pas d'ancrage fixe, elle est élusive et non permanente, ou ne la voit que d'instant en instant. Elle est toujours nouvelle, et donc intemporelle. La vérité n'a aucune continuité. La vérité, c'est voir le même sourire comme un sourire neuf, voir la vie - comme pour la première fois.
La recherche de la vérité en est la négation. La vérité n'a pas de domicile fixe ; nul chemin, nul guide ne peut vous y conduire et le mot vérité n'est pas la vérité. 
La vérité ne peut jamais se faner car on ne la croise que d'instant en instant, dans l'instant de chaque pensée, de chaque relation, de chaque mot, de chaque geste, l'instant d'un sourire ou d'une larme.
Tout homme soucieux de découvrir la réalité doit cesser de chercher - ce qui ne veut pas dire qu'il doive se satisfaire de ce qui est. Au contraire, celui qui est déterminé à trouver la vérité doit être en lui-même un révolutionnaire accompli.
La vérité se change en poison si, une fois entendue, elle reste inactive dans l'esprit. Mais découvrir par soi-même ce qui est vrai et ce qui est faux, et voir la vérité dans le faux, c'est permettre à cette vérité d'opérer et d'engendrer sa propre action.
Krishnamurti : Le livre de la méditation et de la vie

1er août 
Cœur plein, esprit vide
(...) Quand l'amour est dans votre cœur, vous ne parlez ni d'organiser la fraternité universelle, ni de croyances, ni de divisions, ni des pouvoirs qui les suscitent, vous n'avez nul souci de réconciliation. Vous êtes alors, tout simplement, un être humain sans étiquette, sans pays. Cela signifie que vous devez vous dépouiller de toutes ces notions et permettre à la vérité de venir au jour; et elle ne peut advenir que lorsque l'esprit est vide, qu'il cesse de créer. Alors elle viendra sans que vous l'y invitiez. (...) Mais pour la recevoir, le cœur doit être plein et l'esprit vide. Alors qu'à présent vous avez l'esprit plein et le cœur vide. 

2 août 
La vérité est un état 
La vérité n'a pas de chemin, et il n'existe pas deux vérités. (...) Celui qui cite la vérité de Bouddha, de Shankara ou du Christ, ou qui ne fait que répéter ce que je dis, ne trouvera pas la vérité, car la répétition n'est pas la vérité. La répétition n'est que mensonge. La vérité est un état, un mode d'être qui survient lorsque l'esprit - qui cherche à diviser, qui se veut exclusif, qui ne peut penser qu'en termes de résultats, de réussite - cesse d'exister. 
(...) On ne peut connaître la vérité que lorsqu'on a compris l'ensemble de mécanismes de l'esprit, c'est à dire quand cesse tout effort.

3 août 
La vérité n'est ancrée nulle part
La vérité est un fait, et le fait ne peut être compris qu'une fois levés tous les obstacles qui se dressent entre l'esprit et le fait. Le fait, c'est la relation qui vous unit à vos biens, à votre femme, aux êtres humains, à la nature, aux idées (...) La vérité est toujours neuve : la vérité, c'est voir le même sourire comme un sourire neuf, voir la même personne d'un regard toujours neuf, voir les palmiers qui se balancent - voir la vie - comme pour la première fois.
 4 août 
Sur le chemin de la vérité, il n'y a pas de guide
Peut-on trouver Dieu en le cherchant ? Peut-on partir en quête de l'inconnaissable ? Pour trouver, vous devez savoir ce que vous cherchez. Si vous cherchez à trouver, ce que vous trouverez ne sera qu'une projection de vous-même ; ce sera un objet de votre désir, et ce qui est création du désir n'est pas la vérité. (...) Est-elle ici et pas là ? Cet homme est-il meilleur guide que cet autre pour vous conduire à la vérité ? Existe-t-il même un guide ? Quand on cherche la vérité, ce que l'on trouve ne peut venir que née de l'ignorance. Vous ne pouvez pas chercher la réalité : vous devez cesser pour que la réalité soit.

5 août 
La vérité est dans l'instant 
La vérité ne peut pas être accumulée. Ce qui est accumulé est toujours détruit, puis se fane et meurt. La vérité ne peut jamais se faner car on ne la croise que d'instant en instant, (...) Et si vous et moi pouvons découvrir cela et le vivre - et le vivre c'est le découvrir - alors nous ne deviendrons pas des propagandistes : nous serons des êtres humains créatifs - pas parfaits, mais créatifs, et la différence est immense. 

6 août 
Le véritable révolutionnaire 
La vérité n'est pas pour les gens respectables, ni pour ceux qui cherchent à prolonger, à se réaliser. La vérité n'est pas pour ceux qui ont soif de sécurité, de permanence ; car la permanence qu’ils cherchent n'est que l'envers de l'impermanence. (...) Celui qui est déterminé à trouver la vérité doit être en lui-même un révolutionnaire accompli. Il ne peut appartenir à aucune classe sociale, a aucune nation, à aucun groupe ni a aucune idéologie, à aucune religion établie ; car la vérité n'est ni dans le temple ni dans l'église, la vérité ne se trouve pas dans les objets nés de la main ou de l'esprit. (.. ) La vérité vient à celui qui s'est libéré du temps, qui n'utilise pas le temps comme moyen de se prolonger. Le temps implique le souvenir de votre passé, de la famille, de la race, de votre caractère, et de l'accumulation de vos expériences - toute cette mémoire qui constitue le "moi" et le "mien".

7 août 
Voir la vérité dans le faux
Il peut se faire que vous soyez superficiellement d'accord lorsque vous entendez dire que le nationalisme, avec tout son impact émotionnel et les intérêts qu'il défend, mène à l'exploitation et à opposition des hommes entre eux ; mais délivrer réellement votre esprit de la petitesse du nationalisme est une tout autre affaire. 
(...) Vous avez entendu une parole vraie ; mais si vous ne faites que l'entendre sans qu'elle ne vous dérange de manière suffisamment agissante pour que votre esprit commence à se libérer de tout ce qui le rend mesquin et tortueux, alors la vérité entendue deviendra un poison. En vérité, telle l'infection rongeant peu à peu une plaie, la vérité se change en poison si, une fois entendue, elle reste inactive dans l'esprit.



jeudi 4 août 2016

La souffrance

Le rire est une chose merveilleuse – rire sans raison, avoir le cœur en joie, sans motif, aimer sans demander en retour…et nous ne savons pratiquement jamais ce qu’est aimer de tout notre être…La souffrance a effectivement une fin – qui n’intervient ni grâce à un système ni grâce à une méthode quelconques. La souffrance cesse dès la perception de ce qui est.
Regardez donc votre propre esprit, voyez comment vous trouvez toujours des explications plausibles à vos peines, comment vous vous noyez dans le travail, dans les idées, comment vous vous accrochez à une croyance en Dieu, ou à une existence de fuite. Et si aucune explication, aucune croyance ne vous satisfait, vous fuyez dans l’alcool et le sexe, ou vous devenez cynique, dur, amer et cassant…
Tant que je considère ma douleur comme une chose extérieure – « je souffre parce que j’ai perdu mon frère, parce que je n’ai pas d’argent, à cause de ceci ou de cela »  -, j'établis une relation entre elle et moi et cette relation est fictive. Mais si je suis elle, si je vois ce fait, tout est transformé, tout a un autre sens. Car je suis dans un état d’attention totale, d’attention intégrée, et ce qui est complètement considéré est complètement compris et dissout, et par conséquent le mot souffrance n’existe plus.
Lorsque j’observe à partir d’un centre – que ce centre soit une conclusion, une idée, ou l’espoir, le désespoir, ou quoi que ce soit d’autre – cette observation reste très restreinte, très étroite, très mince, et cela engendre une souffrance.
Il faut vivre de tout votre être cette confrontation avec elle. Et si vous l’explorez à fond, pas à pas, vous verrez que cette souffrance a une fin – une fin réelle, pas une fin qui se limite à des mots, pas la fin superficielle qui accompagne la fuite. Et quand toute cette souffrance sera achevée, vous aurez dès lors entrepris un nouveau voyage – un voyage qui n’a ni commencement ni fin.
Il est une immensité qui est au-delà de toute mesure, mais nul ne peut pénétrer dans cet univers sans l’abolition totale de la souffrance. Vous savez que la souffrance est là ; c’est un fait, et  il n’y a rien d’autre à savoir. Vous devez vivre.
Pour comprendre la souffrance, il faut sans nul doute l’aimer, ne croyez-vous pas ? Autrement dit, il faut être en contact direct avec elle. Si l’on veut comprendre (…) si l’on veut comprendre totalement une chose, il faut en être proche. On doit l’aborder sans objection, sans préjugés, sans condamnation ni répulsion ; on doit la regarder. Les mots m’empêchent d’être en communion avec la souffrance. L’obstacle vient des mots ... C'est seulement lorsque j'entre en communion avec la souffrance que je peux la comprendre. 
Krishnamurti : Le livre de la méditation et de la vie

23 juillet
La fin de la souffrance
Il suffit de descendre la route, et vous verrez la splendeur de la nature, la beauté extraordinaire des prés verdoyants et l’immensité du ciel ; et vous entendrez le rire des enfants. Mais il y a en dépit de tout cela, une sensation de souffrance. Il y a l’angoisse de la femme qui porte en elle un enfant ; il y a la douleur liée à la mort ; il y a la souffrance de celui qui attend quelque chose qui n’arrive pas ; il y a la souffrance de voir un pays qui s’effondre et tombe en décadence ; et il y a la souffrance liée à la corruption, nos seulement collective, mais aussi individuelle. La souffrance est présente jusque dans votre propre maison, si vous regardez jusqu’au fond des choses : douleur de ne pas réussir, douleur d’être mesquin ou incapable, et toutes sortes de douleurs inconscientes.
 La vie est aussi le rire. (…) mais ce rire ne nous vient que très rarement. (…) Nous sommes à la recherche d’une solution, d’un moyen, d’une méthode grâce auxquels se volatiliserait ce fardeau de la vie, et ainsi nous ne regardons jamais vraiment la souffrance.

24 juillet
Rencontre avec la souffrance
Comment faire face à la souffrance ? Pour la plupart d’entre nous, le face-à-face est, je le crains, très superficiel. (…) L’esprit superficiel est celui que sa fuite mène droit à l’église, à des conclusions, des conceptions, une conviction ou une idée. C’est le refuge de l’esprit superficiel en détresse. (…) Toutes les défenses de ce genre contre la souffrance empêchent une exploration plus poussée…
Regardez donc votre propre esprit, voyez comment vous trouvez toujours des explications plausibles à vos peines, comment vous vous noyez dans le travail, dans les idées, (…) Une génération après l’autre, cet héritage se transmet de parents à enfants, mais jamais l’esprit superficiel n’expose sa plaie à nu ; il ne connaît pas vraiment la souffrance, elle ne lui est pas familière. Elle n’est pour lui qu’une idée, une image, un symbole ; jamais il ne rencontre la souffrance – mais seulement le mot souffrance.

25 juillet
Lorsqu’on fuit la souffrance
(…) Cette chose qu’on appelle la souffrance est partout – et la mort nous attend au tournant. Mais nous ne savons pas comment faire face à la souffrance, alors nous la vénérons, nous la rationalisons, ou nous essayons de la fuir.
Ne serait-ce pas merveilleux si, tandis que vous écoutez – en l’absence de tout sentiment ou - (…) vous pouvez réellement comprendre la souffrance et vous en libérer totalement ? Parce qu’il n’y aurait plus alors de mensonges envers soi-même ni d’illusions, d’angoisse, ou de peur ; et l’esprit pourrait fonctionner avec clarté, acuité et logique. Peut-être saurions-nous alors ce qu’est l’amour.

26 juillet
Suivez le mouvement de la souffrance
Qu’est-ce que la souffrance ? (…) Que veut dire souffrir ? Qu’est-ce qui souffre ? Je ne demande pas « pourquoi » il y a souffrance ni quelle est la « cause » de la souffrance, mais : « que se passe-t-il en fait ? » : (…) Je suis simplement dans l’état où la souffrance se perçoit ; elle n’est pas distincte de moi à la façon dont un objet est séparé de l’observateur ; elle est partie intégrante de moi-même, tout moi souffre. Dés lors je peux suivre son mouvement, voir où elle me mène. Et ainsi elle se révèle et je vois que j’ai donné de l’importance à moi-même et non à la personne que j’aimais. Celle-ci avait comme rôle de me cacher ma misère, ma solitude, mon infortune. (…) D’innombrables personnes sont là pour m’aider à m’évader : avec leurs croyances et leurs dogmes, leurs espoirs et leurs fantaisies : « C’est votre Karma », « C’est la volonté de Dieu »…, vous connaissez toutes ces voies d’évasion. Mais si je peux demeurer avec cette souffrance, ne pas l’éloigner de moi, et ne pas essayer de la circonscrire ou de la nier, alors que se passe-t-il ? Quel est l’état de mon esprit lorsqu’il suit ainsi le mouvement de la souffrance ?

27 juillet
Une compréhension spontanée
Nous ne disons jamais : « Voyons ce qu’est cette chose qui souffre. » Et on ne peut pas voir en se forçant, en se disciplinant. Il faut regarder avec intérêt, avec une compréhension spontanée. Et alors on s’aperçoit que ce que nous appelions souffrance, douleur, et que nous cherchions à éviter ou à discipliner, que tout ce processus a disparu. Tant que je ne suis pas en relation avec cette souffrance comme si elle était extérieure à moi, le problème n’existe pas. Dès que j’établis un rapport entre elle et moi, comme si elle m’était extérieure à moi, le problème existe. (...) Mais si je suis elle, si je vois ce fait, tout est transformé, tout a un autre sens. Car je suis dans un état d’attention totale, d’attention intégrée, et ce qui est complètement considéré est complètement compris et dissous, et par conséquent le mot souffrance n’existe plus.

28  juillet
Le centre de la souffrance
Lorsqu’on voit une chose très belle, une montagne magnifique, un coucher de soleil splendide, un sourire ou un visage ravissant, on se tait, abasourdi par l’émotion. (…) Votre esprit a été touché par une chose extérieure ; mais je parle d’un esprit qui, loin d’être abasourdi, a envie de regarder, d’observer.  Mais êtes-vous capable d’observer sans que votre conditionnement ne remonte à la surface ? Face à un être en proie à la souffrance, je la mets en mots, je l’explique : la souffrance est inévitable, elle découle de l’accomplissement des désirs. Ce n’est qu’une fois toutes les explications épuisées qu’on peut enfin la regarder – ce qui signifie qu’on ne la regarde pas à partir d’un centre. Lorsqu’on regarde à partir d’un centre, les facultés d’observations sont limitées. (…) Quand j’examine la souffrance à partir d’un centre, je souffre. C’est l’impossibilité d’observer qui cause la douleur. Je ne peux pas observer, si je pense, si j’agis ou si je regarde à partir d’un centre – comme c’est le cas lorsque je dis : « Je ne dois pas avoir mal », « Il faut que je sache pourquoi je souffre » « Je dois éviter la souffrance ». 

29 juillet
Une immensité incommensurable
Que se passe-t-il quand la mort vient vous arracher quelqu’un ? La réaction immédiate est un sentiment de paralysie, et lorsqu’on sort de cet état de choc, il y a ce que nous appelons la souffrance. Mais que signifie au juste ce mot, souffrance ? La présence du compagnon, le bonheur de l’échange, toutes ces choses agréables que vous faisiez et espériez faire ensemble – en une seconde tout vous est ôté, et vous demeurez vide, nu et seul. Ce que vous n’admettez pas, (…) c’est le fait de vous retrouver soudain seul face à vous-même, absolument seul, vide, sans aucun soutien. Il est essentiel, alors, de vivre avec cette vacuité, de demeurer en sa présence, sans aucune réaction, sans la rationaliser, (…) Il faut vivre de tout votre être cette confrontation avec elle. Et si vous l’explorez à fond, pas à pas, vous verrez que cette souffrance a une fin – une fin réelle, pas une fin qui se limite à des mots, pas la fin superficielle qui accompagne la fuite, l’identification à un concept, ou l’engagement dans une idéologie. Vous découvrirez alors qu’il n’y a rien à protéger, car l’esprit est totalement vide ; et quand il ne réagit plus : il n’essaye plus de combler ce vide ; et quand toute cette souffrance sera achevée, vous aurez dès lors entrepris un nouveau voyage – un voyage qui n’a ni commencement ni fin.  

30 juillet
Il faut vivre avec la souffrance
(…) L’abolition de la souffrance commence lorsqu’on affronte ses propres réalités psychologiques et qu’on est totalement conscient de toutes leurs implications d'instant en instant. Ce qui implique de ne jamais le fuir devant le fait de notre souffrance, de ne jamais le rationaliser, de ne jamais exprimer d’opinion à son sujet, mais de le vivre de manière totale.
Vivre en présence de la beauté de ces montagnes sans tomber dans l’habitude est chose très difficile…On a contemplé  ces montagnes, entendu le torrent, et vu les ombres s’insinuer dans la vallée, jour après jour ; n’avez-vous pas remarqué comme on s’habitude facilement aux choses ? On dit : « Oui c’est très beau », et on passe son chemin.  Il faut, pour vivre en présence de la beauté ou de la laideur, sans tomber dans l’habitude, une immense énergie – une vigilance qui empêche l’esprit de s’engourdir. De la même manière, la souffrance engourdit l’esprit si nous ne faisons que nous y habituer – et le plus souvent c’est le cas. Mais il est inutile de s’habituer à la souffrance. On peut vivre avec la souffrance, la comprendre, l’explorer – mais pas dans but de la connaître. 
Vous savez que la souffrance est là ; c’est un fait, et  il n’y a rien d’autre à savoir. Vous devez vivre.

31 juillet 
Nous devons communier avec la souffrance
Nous ne sommes généralement pas en communion avec les choses. Il n’existe aucune communion directe entre nous et nos amis, nous et notre femme, nous et nos enfants…
Donc, pour comprendre la souffrance, il faut sans nul doute l’aimer, ne croyez-vous pas ?
(…) Si je veux vous comprendre, je ne dois avoir envers vous aucun préjugés et de mes conditionnements. Je dois être capable de vous regarder sans que viennent s’interposer les barrières ; l’écran de mes préjugés et de mes conditionnements. Je dois être en communion avec vous, ce qui signifie que je dois vous aimer. De même, si je veux comprendre la souffrance je dois l'aimer. Je dois communier avec elle. Je n'y parviens pas, parce que je cherche à lui échapper, par le biais d'explications, de théories, d'espoirs, d'atermoiements, qui sont tous les processus de verbalisation.
Ainsi, les mots m'empêchent d'être en communion avec la souffrance. L'obstacle vient des mots.